Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/123

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elle laissait volontiers parler les autres quand nous étions toutes ensemble ; c’était la seule qui ne m’eût point donné de petits noms, et qui se contentait de m’appeler mademoiselle, sans que cela m’empêchât de la trouver aussi affable que ses compagnes.

Ce jour-là elle me parut encore plus mélancolique que de coutume ; et comme je ne la soupçonnais point de tristesse, je m’imaginai qu’elle ne se portait pas bien.

N’êtes-vous pas malade ? lui dis-je ; je vous trouve un peu pâle. Cela se peut bien, me répondit-elle ; j’ai passé une assez mauvaise nuit, mais ce ne sera rien. Souhaitez-vous, ajouta-t-elle, que j’aille avertir nos sœurs que vous êtes ici ? Non, lui dis-je, je n’ai qu’une heure à rester avec vous, et je ne demande pas d’autre compagnie que la vôtre ; aussi bien aurai-je incessamment le temps de voir nos bonnes amies tout à mon aise, et sans être obligée de les quitter. Comment ! sans les quitter ! me dit-elle : auriez-vous dessein d’être des nôtres ?

J’y suis plus d’à moitié résolue, lui répondis-je, et je crois que dès demain je l’écrirai à ma mère. Il y a longtemps que votre bonheur me fait envie, et je veux être aussi heureuse que vous.

Je passai alors ma main à travers le parloir pour prendre la sienne, qu’elle me tendit, mais sans répondre à ce que je lui disais ; je m’aperçus même que ses yeux se mouillaient, et qu’elle baissait la tête, apparemment pour me le cacher.