Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/128

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de secours, et je vous en demande, et c’est contre moi-même.

Elle tira alors de son sein un billet sans adresse, mais cacheté, qu’elle me donna d’une main tremblante. Puisque je vous fais pitié, ajouta-t-elle, défaites-moi de cela, je vous en conjure ; ôtez-moi ce malheureux billet qui me tourmente, délivrez-moi du péril où il me jette, et que je ne le voie plus. Depuis deux heures que je l’ai reçu, je ne vis point.

Mais, lui dis-je, vous ne l’avez point lu, il n’est pas ouvert ? Non, me répondit-elle ; à tout moment j’ai eu envie de le déchirer, à tout moment j’ai été tentée de l’ouvrir ; et à la fin je l’ouvrirais, je n’y résisterais pas : je crois que j’allais le lire, quand par bonheur pour moi vous êtes venue. Eh ! quel bonheur ! Hélas ! je suis bien éloignée de sentir que c’en est un ; je ne sais pas même si je le pense : ce billet que je viens de vous donner, je le regrette, peu s’en faut que je ne vous le redemande, je voudrais le ravoir. Mais ne m’écoutez point ; et si vous le lisez, comme vous en êtes la maîtresse, puisque je ne vous cache rien, ne me dites jamais ce qu’il contient ; je ne m’en doute que trop, et je ne sais ce que je deviendrais si j’en étais mieux instruite.

Eh ! de qui le tenez-vous ? lui dis-je alors, émue moi-même du trouble où je la voyais. De mon ennemi mortel, d’un homme qui est plus fort que moi, plus fort que ma religion, que mes réflexions, me répondit-elle ; d’un homme qui m’aime, qui a perdu la raison, qui veut m’ôter la mienne, qui n’y a déjà que