Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/19

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le moins à conséquence pour vous. Vous aimiez un homme qui vous aimait et qui vous quitte, qui s’attache ailleurs ; et vous appelez cela un grand malheur ? Mais est-il bien vrai que c’en soit un, et ne se pourrait-il pas que ce fût le contraire ? Que savez-vous s’il n’est pas avantageux pour vous que cet homme-là ait cessé de vous aimer, si vous ne vous seriez pas repentie de l’avoir épousé, si sa jalousie, son humeur, son libertinage ; si mille défauts essentiels qu’il peut avoir et que vous ne connaissez point, ne vous auraient pas fait gémir le reste de votre vie ? Vous ne regardez que le moment présent, jetez votre vue un peu plus loin. Son infidélité est peut-être une grâce que le ciel vous a faite ; la Providence qui nous gouverne est plus sage que nous, voit mieux ce qu’il nous faut, nous aime mieux que nous ne nous aimons nous-mêmes, et vous pleurez aujourd’hui de ce qui sera peut-être dans peu de temps le sujet de votre joie. Mettez-vous bien dans l’esprit que vous ne deviez pas épouser celui don t il est question, et qu’assurément ce n’était pas votre destinée ; qu’il est très possible que vous y gagniez, comme j’y ai gagné moi-même, ajouta-t-elle, à ne pas épouser un jeune homme riche, à qui j’étais chère, qui me l’était, et qui me laissa aussi pour en aimer une autre qui est devenue