Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/35

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je ne suis plus rien ; la moindre des créatures est plus que moi ; je n’ai subsisté jusqu’ici que par charité : on le sait, on me le reproche ; vous me le répétez, vous m’écrasez, et en voilà assez. Je suis assez avilie, assez convaincue que Valville a dû m’abandonner, et qu’il a pu le faire sans en être moins honnête homme ; mais vous me menacez de sa haine et de ses malédictions, moi qui ne vous réponds rien, moi qui me meurs ! Ah ! c’en est trop, vous dis-je, et Dieu me vengera, mademoiselle, vous le verrez ; vous pouviez justifier Valville, et m’insinuer que sa passion pour vous n’est point blâmable, sans venir m’accabler de ce présage barbare qu’on lui fait sur mon compte ; et c’est peut-être vous qu’il haïra, mademoiselle ; c’est peut-être vous, et non pas moi, prenez-y garde !

Cette violente sortie l’étourdit : elle ne s’attendait pas à être si bien devinée, et je la vis pâlir et rougir successivement.

Vous interprétez bien mal mes intentions, me répondit-elle d’un air troublé ; Ah ! Seigneur ! quel emportement ! je vous écrase, je vous déchire, et Dieu me punira ; voilà qui est étrange ! Eh ! de quoi me punirait-il, mademoiselle ? Ai-je quelque part à vos chagrins ? Suis-je responsable des idées qu’on inspire à ce jeune homme ? Est-ce ma faute à moi, s’il en est frappé ? Et dans le fond, est-il si étonnant qu’elles lui fassent impression ? Oui, je vous le dis encore, ceci change tout ; il y a ici bien moins d’infidélité que de faiblesse, il est impossible d’en juger autrement. Ceux qui lui parlent ont plus de tort que lui ; et il est certain