Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/394

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dame avait de la fraîcheur et de l’embonpoint, et mes yeux lorgnaient volontiers.

Elle s’en aperçut, et sourit de la distraction qu’elle me donnait ; moi, je vis qu’elle s’en apercevait, et je me mis à rire aussi d’un air que la honte d’être pris sur le fait et le plaisir de voir rendaient moitié niais et moitié tendre ; et la regardant avec des yeux mêlés de tout ce que je dis là, je ne lui disais rien.

De sorte qu’il se passa alors entre nous deux une petite scène muette qui fut la plus plaisante chose du monde ; et puis, se raccommodant ensuite assez négligemment : À quoi penses-tu, Jacob ? me dit-elle. Hé ! madame, repris-je, je pense qu’il fait bon vous voir, et que monsieur a une belle femme.

Je ne saurais dire dans quelle disposition d’esprit cela la mit, mais il me parut que la naïveté de mes façons ne lui déplaisait pas.

Les regards amoureux d’un homme du monde n’ont rien de nouveau pour une jolie femme ; elle est accoutumée à leurs expressions, et ils sont dans un goût de galanterie qui lui est familier, de sorte que son amour-propre s’y amuse comme à une chose qui lui est ordinaire, et qui va quelquefois au-delà de la vérité.

Ici ce n’était pas de même ; mes regards n’avaient rien de galant, ils ne savaient être que vrais. J’étais un paysan, j’étais jeune, assez beau garçon ; et l’hommage que je rendais à ses appas venait du pur plaisir qu’ils me faisaient. Il était assaisonné d’une ingénuité rustique, plus curieuse à voir, et d’autant plus flatteuse qu’elle ne voulait point flatter.