Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/494

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Jusqu’ici donc mes discours avaient toujours eu une petite tournure champêtre ; mais il y avait plus d’un mois que je m’en corrigeais assez bien, quand je voulais y prendre garde, et je n’avais conservé cette tournure avec Mlle Habert, qu’à cause que je m’étais aperçu qu’elle me réussissait auprès d’elle, et que je lui avais dit tout ce qui m’avait plu à la faveur de ce langage rustique ; mais il est certain que je parlais meilleur français quand je voulais. J’avais déjà acquis assez d’usage pour cela, et je crus devoir m’appliquer à parler mieux qu’à l’ordinaire.

Notre repas fut le plus gai du monde, et j’y fus plus gai que personne.

Ma situation me paraissait assez douce ; il y avait grande apparence que Mlle Habert m’aimait, elle était encore assez aimable, elle était riche pour moi ; elle jouissait bien de quatre mille livres de rente et au delà, et j’apercevais un avenir très riant et très prochain ; ce qui devait réjouir l’âme d’un paysan de mon âge, qui presque au sortir de la charrue pouvait sauter tout d’un coup au rang honorable de bon bourgeois de Paris ; en un mot j’étais à la veille d’avoir pignon sur rue, et de vivre de mes rentes, chéri d’une femme que je ne haïssais pas, et que mon cœur payait du moins d’une reconnaissance qui ressemblait si bien à de l’amour, que je ne m’embarrassais pas d’en examiner la différence.