Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/505

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

croyez dans l’âme ; allez, mademoiselle, j’aimerais mieux ne vous avoir jamais ni vue ni aperçue, que de m’entendre accuser de la sorte par une personne qui a été le sujet de la première affection que j’aie eue dans le cœur, hormis père et mère que je ne compte pas, parce qu’on est leur race, et que l’amitié qu’on a pour eux n’ôte point la part des autres : mais j’avais une grande consolation à croire que vous saviez le fond de ma pensée ; que le ciel me soit en aide, et à vous aussi. Hélas ! de gaillard que j’étais, me voilà bien triste !

Je me ressouviens bien qu’en lui parlant ainsi, je ne sentais rien en moi qui démentît mon discours. J’avoue pourtant que je tâchai d’avoir l’air et le ton touchant, le ton d’un homme qui pleure, et que je voulus orner un peu la vérité ; et ce qui est de singulier, c’est que mon intention me gagna tout le premier. Je fis si bien que j’en fus la dupe moi-même, et je n’eus plus qu’à me laisser aller sans m’embarrasser de rien ajouter à ce que je sentais ; c’était alors l’affaire du sentiment qui m’avait pris, et qui en sait plus que tout l’art du monde.

Aussi ne manquai-je pas mon coup ; je convainquis, je persuadai si bien Mlle Habert, qu’elle me crut jusqu’à en pleurer d’attendrissement, jusqu’à me consoler de la douleur que je témoignais, et jusqu’à me demander excuse d’avoir douté.

Je ne m’apaisai pourtant pas d’abord ; j’eus le cœur gros encore quelque temps, le sentiment me menait ainsi, et il me menait bien : car quand on est une fois en train de se plaindre des gens, surtout en