Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/86

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en conviens ; mais comme vous n’avez jamais goûté la douceur qu’il y a à en avoir, tâchez de vous dire : Les autres ont un avantage qui me manque, et ne vous dites point : J’ai une affliction de plus qu’eux. Songez d’ailleurs aux motifs de consolation que vous avez : un caractère excellent, un esprit raisonnable et une âme vertueuse valent bien des parents, Marianne. Et voilà ce que n’ont pas une infinité de personnes de votre sexe dont vous enviez le sort, et qui seraient bien mieux fondées à envier le vôtre. Voilà votre partage, avec une figure aimable qui vous gagne tous les cœurs, et qui vous a déjà trouvé une mère pour le moins aussi tendre que l’eût été celle que vous avez perdue. Et puis, quand vous auriez vos parents, que savez-vous si vous en seriez plus heureuse ? Hélas ! ma chère enfant, il n’y a point de condition qui mette à l’abri du malheur, ou qui ne puisse lui servir de matière ! Pour être le jouet des événements les plus terribles, il n’est seulement question que d’être au monde ; je n’ai point été orpheline comme vous ; en ai-je été mieux que vous ? Vous verrez que non dans le récit que je vous ferai de ma vie, si vous voulez, et que j’abrégerai le plus qu’il me sera possible.

Non pas, lui dis-je, n’abrégez rien, je vous en conjure, je vous demande jusqu’au moindre détail ; plus je passerai de moments à vous écouter, plus vous m’épargnerez de réflexions sur tout ce qui m’afflige ; et s’il est vrai que vous n’ayez pas été plus heureuse que moi, vous qui méritiez de l’être plus qu’une autre, j’aurai assez de raison pour ne plus me plaindre.