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Dutour choquait mon amour-propre : je rougissais d’elle et de sa boutique.

Je trouvais que cette boutique figurait si mal avec une aventure comme la mienne ; que c’était quelque chose de si décourageant pour un homme de condition comme Valville, que je voyais entouré de valets ; quelque chose de si mal assorti aux grâces qu’il mettait dans ses façons ; j’avais moi-même l’air si mignon, si distingué ; il y avait si loin de ma physionomie à mon petit état ; comment avoir le courage de dire : Allez-vous en à telle enseigne, chez Madame Dutour où je loge ? Ah ! l’humiliant discours !

Passe pour n’être pas née de parents riches, pour n’avoir que de la naissance sans fortune ; l’orgueil, tout nu qu’il est par là, se sauve encore ; cela ne lui ôte que son faste et ses commodités, et non pas le droit qu’il a aux honneurs de ce monde, mais un si grand étalage de politesse et d’égards n’était pas dû à une fille de boutique : elle était bien hardie de l’avoir souffert, de n’y avoir pas mis ordre par sa confusion.

Et c’était là le retour de réflexion que je craignais dans Valville. Quoi ! ce n’est que cela, me semblait-il lui entendre dire à lui-même ? et l’ironie de ce petit soliloque-là me révoltait tant de sa part, que, tout bien pesé, j’aimais mieux lui paraître équivoque que ridicule, et le laisser douter de mes mœurs que de le faire rire de tous ses respects. Ainsi je conclus que je n’enverrais chez personne, et que je dirais que cela n’était pas nécessaire.

C’était on ne peut plus mal conclure, j’en conviens, et je le sentais ; mais ne savez-vous pas que notre âme est encore plus superbe que vertueuse, plus glorieuse qu’honnête, et par conséquent plus délicate sur les intérêts de sa vanité que sur ceux de son véritable honneur.

Attendez pourtant, ne vous alarmez pas. Ce parti que j’avais pris je ne le suivis point ; car, dans l’agitation qu’il me causait à moi-même, il me vint subitement une autre pensée.

Je trouvai un expédient dont ma misérable vanité fut