Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/107

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et l’attache au plaisir délicat d’aimer et de respecter timidement ce qu’il aime.

Voilà de quoi d’abord s’occupe un cœur tendre : à parer l’objet de son amour de toute la dignité imaginable, et il n’est pas dupe. Il y a plus de charme à cela qu’on ne pense, il y perdrait à ne s’y pas tenir ; et vous, madame, vous y gagneriez si je n’étais pas si babillarde.

Finissez donc, me diriez-vous volontiers, et c’est ce que je disais à Valville avec un sérieux encore altéré d’émotion. En vérité, monsieur, vous me surprenez, ajoutai-je ; vous voyez bien vous-même que j’ai raison de vouloir m’en aller, et qu’il faut que je parte.

Oui, mademoiselle, vous allez partir, me répondit-il tristement ; et je vais donner mes ordres pour cela, puisque vous ne pouvez vous souffrir ici, et qu’apparemment je vous y déplais moi-même, à cause du mouvement qui vient de m’échapper ; car il est vrai que je vous aime, et que j’emploierais à vous le dire tous les moments que nous passerions ensemble, et tout le temps de ma vie, si je ne vous quittais pas.

Et, quand ce discours qu’il me tenait aurait duré tout le temps de la mienne, il me semble qu’il ne m’aurait pas ennuyée non plus, tant la joie dont il me pénétrait était douce, flatteuse, et pourtant embarrassante ; car je sentais qu’elle me gagnait. Je ne voulais pas que Valville la vît, et je ne savais quel air prendre pour la mettre à couvert de ses yeux.

D’ailleurs, ce qu’il m’avait dit demandait une réponse ; ce n’était pas à ma joie à la faire, et je n’avais que ma joie dans l’esprit, de sorte que je me taisais les yeux baissés.

Vous ne répondez rien, me dit Valville ; partirez-vous sans me dire un mot ? Mon action m’a-t-elle rendu si désagréable ? Vous a-t-elle offensée sans retour ?

Et remarquez que pendant ce discours il avançait sa main pour ravoir la mienne, que je lui laissais prendre, et qu’il baisait encore en me demandant pardon de l’avoir baisée ; et ce qu’il y a de plaisant, c’est que je trouvais la répara-