Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/113

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avec vos grâces, celles que votre histoire, faite comme un roman, vous donne encore. Et ne vous embarrassez pas d’ignorer ce que vous êtes née ; laissez travailler les chimères de l’amour là-dessus ; elles sauront bien vous faire un rang distingué, et tirer bon parti des ténèbres qui cacheront votre naissance. Si une femme pouvait être prise pour une divinité, ce serait en pareil cas que son amant l’en croirait une.

À la vérité, il ne faut pas attendre que cela dure : ce sont là de ces grâces et de ces dignités d’emprunt, qui s’en retournent avec les amoureuses folies qui vous en parent.

Et moi je retourne toujours aux réflexions, et je vous avertis que je ne me les reprocherai plus ; vous voyez bien que je n’y gagne rien, et que je suis incorrigible : ainsi tâchons toutes deux de n’y plus prendre garde. Je laisse Valville désespéré de ce que je voulais partir sans me faire connaître ; mais les pleurs qu’il me vit répandre le calmèrent tout d’un coup : je n’ai jamais rien vu de si doux ni de si tendre que ce qui se peignit alors sur sa physionomie ; et en effet, mes pleurs ne concluaient rien de fâcheux pour lui, ils n’annonçaient ni haine ni indifférence, ils ne pouvaient signifier que de l’embarras.

Eh quoi ! mademoiselle, vous pleurez ! me dit-il, en venant se jeter à mes genoux avec un amour où l’on démêlait déjà je ne sais quel transport d’espérance, vous pleurez ! Eh ! quel est donc le motif de vos larmes ? Vous ai-je dit quelque chose qui vous chagrine ? Parlez, je vous en conjure : d’où vient que je vous vois dans cet état-là ? ajouta-t-il, en me prenant une main qu’il accablait de caresses, et que je ne retirais pas, mais que dans ma consternation je semblais lui abandonner avec décence, et comme à un homme dont le bon cœur, et non pas l’amour, obtenait de moi cette nonchalance-là.

Répondez-moi, s’écria-t-il : avez-vous d’autres sujets de tristesse ? Et pourriez-vous hésiter d’ouvrir votre cœur à qui vous a donné tout le sien, à qui vous jure qu’il sera toujours à vous, à qui vous aime plus que sa vie, à qui vous