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savait sous quel air présenter, pour empêcher qu’on n’y vît son désordre qui allait s’y peindre.

M. de Climal était amoureux de moi ; comprenez donc combien il fut jaloux : amoureux et jaloux, voilà de quoi être bien agité ; et puis M. de Climal était un faux-dévot, qui ne pouvait avec son honneur laisser transpirer ni jalousie ni amour : ils transpiraient pourtant malgré qu’il en eût ; il le sentait bien, il en était honteux, il avait peur qu’on aperçût sa honte ; et tout cela ensemble lui donnait je ne sais quelle incertitude de mouvements, sotte, ridicule, qu’on voit mieux qu’on ne l’explique : et ce n’est pas là tout ; son trouble avait encore un grand motif que j’ignorais ; le voici : c’est, que Valville, en se levant, s’écria à demi bas : Eh ! c’est mon oncle !

Nouvelle augmentation de singularité dans ce coup de hasard. Je n’avais fait que rougir en le voyant, cet oncle ; mais sa parenté, que j’apprenais, me déconcerta encore davantage ; et la manière dont je le regardai, s’il y fit attention, m’accusait bien nettement d’avoir pris plaisir aux discours de Valville. J’avais tout à fait l’air d’être sa complice ; cela n’était pas douteux à ma contenance.

De sorte que nous étions trois figures très interdites. À l’égard de la dame que menait M. de Climal, elle ne me parut pas s’apercevoir de notre embarras, et ne remarqua, je pense, que mes grâces, ma jeunesse, et la tendre posture de Valville.

Ce fut elle qui ouvrit la conversation. Je ne vous plains point, monsieur, vous êtes en bonne compagnie, un peu dangereuse à la vérité : je n’y crois pas votre cœur fort en sûreté, dit-elle à Valville en nous saluant : à quoi d’abord il ne répondit que par un sourire, faute de savoir que dire. M. de Climal souriait aussi, mais de mauvaise grâce, et en homme déterminé sur le parti qu’il avait à prendre, inquiet de celui que je prendrais ; car fallait-il qu’il me connût ou non, et moi-même allais-je en agir avec lui comme avec un homme que je connaissais ?

D’un autre côté, ne sachant aussi quel accueil je devais