Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/115

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aurai dit, et peut-être répété dans les termes les plus simples, les plus naturels et les plus clairs.

Oh ! voyez combien il sera surpris ; et si moi, qui prévois sa surprise, je ne dois pas frémir plus que jamais de la lui donner !

Je ne répondais donc rien ; mais il se mêlait à mon silence un air de confusion si marqué, qu’à la fin Valville entrevit ce que je n’avais pas le courage de lui dire.

Quoi ! mademoiselle, est-ce que vous logez chez madame Dutour ? Oui, monsieur, répondis-je, d’un ton vraiment humilié : je ne suis pourtant pas faite pour elle, mais les plus grands malheurs du monde m’y réduisent. Voilà donc ce que signifiaient vos pleurs ? me répondit-il en me serrant la main avec un attendrissement qui avait quelque chose de si honnête pour moi et de si respectueux, que c’était comme une réparation des injures que me faisait le sort : voyez si mes pleurs m’avaient bien servie.

L’article sur lequel nous en étions, allait sans doute donner matière à une longue conversation entre nous, quand on ouvrit avec grand bruit la porte de la salle, et que nous vîmes entrer une dame menée, devinez par qui ? par M. de Climal, qui, pour premier objet, aperçut Marianne en face, à demi couchée sur un lit de repos, les yeux mouillés de larmes, et tête à tête avec un jeune homme, dont la posture tendre et soumise menait à croire que son entretien roulait sur l’amour, et qu’il me disait : Je vous adore ; car vous savez qu’il était à mes genoux ; et qui plus est, c’est que, dans ce moment, il avait la tête baissée sur une de mes mains, ce qui concluait aussi qu’il la baisait. N’était-ce pas là un tableau bien amusant pour M. de Climal !

Je voudrais pouvoir vous exprimer ce qu’il devint. Vous dire qu’il rougit, qu’il perdit toute contenance, ce n’est vous rendre que les gros traits de l’état ou je le vis. Figurez-vous un homme dont les yeux regardaient tout sans rien voir, dont les bras se remuaient toujours sans avoir de gestes ; qui ne savait quelle attitude donner à son corps qu’il avait de trop, ni que faire de son visage qu’il ne