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M. de Climal et moi, du péril où nous jetait cette dame, en offrant de me reconduire.

Aurait-il pu s’exempter de prêter son carrosse ? Aurais-je pu refuser de le prendre ? Tout cela était difficile. Il pâlissait et je ne répondais rien ; ses yeux me disaient : Tirez-moi d’affaire ; les miens lui disaient : Tirez-m’en moi-même ; et notre silence commençait à devenir sensible, quand il entra un laquais qui dit à Valville que le carrosse qu’il avait envoyé chercher pour moi était à la porte.

Cela nous sauva, et mon tartufe en fut si rassuré, qu’il osa même abuser de la sécurité où il se trouvait pour lors, et porter l’audace jusqu’à dire : Mais il n’y a qu’à renvoyer ce carrosse ; il est inutile, puisque voilà le mien ; et cela, du ton d’un homme qui avait compté me mener, et qui n’avait négligé de répondre à la proposition que parce qu’elle ne faisait pas la moindre difficulté.

Je songe pourtant que je devrais rayer l’épithète de tartufe que je viens de lui donner ; car je lui ai obligation, à ce tartufe-là. Sa mémoire me doit être chère ; il devint un homme de bien pour moi. Ceci soit dit pour l’acquit de ma reconnaissance, et en réparation du tort que la vérité historique pourra lui faire encore. Cette vérité a ses droits, qu’il faut bien que M. de Climal essuie.

Je compris bien qu’il s’en fiait à moi pour l’impunité de sa hardiesse, et qu’il ne craignait pas que j’eusse la malice ou la simplicité de l’en faire repentir.

Non, monsieur, lui répondis-je, il n’est pas nécessaire que je vous dérange, puisque j’ai une voiture pour m’en retourner : et si monsieur, dis-je tout de suite en parlant à Valville, veut bien appeler quelqu’un pour m’aider à me lever d’ici, je partirai tout à l’heure.

Je pense que ces messieurs vous aideront bien eux-mêmes, dit galamment la dame, et en voici un (c’était Valville qu’elle montrait) qui ne serait pas fâché d’avoir cette peine-là ; n’est-il pas vrai ? Discours qui venait sans doute de ce qu’elle l’avait vu à mes genoux. Au reste, ajouta-t-elle, comme nous nous en allons aussi, il faut vous dire