Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/122

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. de Climal et la dame, qui s’en retournaient ensemble, me suivirent, et Valville marchait le dernier en nous suivant aussi.

Quand nous traversâmes la cour, je le vis, du coin de l’œil, qui parlait à l’oreille d’un laquais.

Et puis me voilà arrivée à mon carrosse, où la dame, avant que de monter dans le sien, voulut obligeamment m’arranger elle-même. Je l’en remerciai : mon compliment fut un peu confus. Ce que je dis à Valville le fut encore davantage ; je crois qu’il n’y répondit que par une révérence qu’il accompagna d’un coup d’œil où il y avait bien des choses que j’entendis toutes, mais que je ne saurais rendre, et dont la principale signifiait : Que faut-il que je pense ?

Ensuite je partis interdite, sans savoir ce que je pensais moi-même, sans avoir ni joie, ni tristesse, ni peine, ni plaisir. On me menait, et j’allais. Qu’est-ce que tout cela deviendra ? Que vient-il de se passer ? Voilà tout ce que je me disais dans un étonnement qui ne me laissait nul exercice d’esprit, et pendant lequel je jetai pourtant un grand soupir qui échappa plus à mon instinct qu’à ma pensée.

Ce fut dans cet état que j’arrivai chez madame Dutour. Elle était assise à l’entrée de sa boutique, qui s’impatientait à m’attendre parce que son dîner était prêt.

Je l’aperçus de loin qui me regardait dans le carrosse où j’étais, et qui m’y voyait, non comme Marianne, mais comme une personne qui lui ressemblait tant, qu’elle en était surprise ; et mon carrosse était déjà arrêté à la porte, qu’elle ne s’avisait pas encore de croire que ce fût moi ; c’est qu’à son compte, je ne devais arriver qu’à pied.

À la fin pourtant il fallut bien me reconnaître. Ah ! ah ! Marianne, eh ! c’est vous, s’écria-t-elle. Eh ! pourquoi donc en fiacre ? Est-ce que vous venez de si loin ? Non, madame, lui dis-je ; mais je me suis blessée en tombant, et il m’était impossible de marcher. Je vous conterai mon accident quand je serai rentrée ; ayez à présent la bonté de m’aider avec le cocher à descendre.