Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/13

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tous les critiques qui ont parlé de Marivaux est celle-ci : l’auteur des Fausses Confidences et de Marianne était-il ou n’était-il pas un rhétoricien accompli ? Lisait-il Virgile dans sa langue, et savait-il assez bien le grec pour se passer d’une traduction quand il voulait pénétrer dans les secrets de l’Iliade ? Grande question, à entendre ces messieurs ; question futile et dont Marivaux lui-même rirait de grand cœur, à propos de cette plume qui obéit à tous les caprices de l’esprit. Qu’importe, en effet, un peu plus ou un peu moins d’étude dans un esprit si bien disposé, que toute espèce d’étude lui eût été nuisible ? Certes, pour les vigoureux styles, pleins de nerf et de suc, pour la véhémente éloquence qui appelle à son aide tous les secours de l’art d’autrefois, nous comprenons comme une chose nécessaire, l’étude approfondie et sérieuse des chefs-d’œuvre de la Grèce et de Rome. Que le grand Corneille sache par cœur Tite-Live et Lucain ; que Racine se récite à lui-même, dans les premiers enchantements de sa poésie, les vers d’Euripide et de Sophocle ; que Bossuet se nourrisse de saint Jean Chrysostome et d’Homère, tout comme Achille enfant se nourrissait de la moelle des lions et des ours, voilà ce que je comprends à merveille : à ces fortes natures il fallait une nourriture vigoureuse, l’antiquité tout entière n’est pas trop bonne pour donner aide et protection à ces génies souverains. Mais un charmant et railleur bel esprit d’un siècle de décadence, un rêveur des beaux salons du monde oisif et amoureux, un arrangeur de comédies à demi nues, dans lesquelles il s’agit surtout de montrer la taille, la jambe et les épaules de Sylvia ; mais un faiseur de romans à fleur de peau et de sentiment, frêles pastels qu’un souffle efface, qu’a-t-il besoin, celui-là, de savoir la mort d’Hector, de lire les Catilinaires