Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/14

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ou les Philippiques ; que lui font cette Athènes où l’on se dispute sans cesse, et cette Rome où l’on se bat toujours ? Ne serait-il pas à craindre, au contraire, que ces lambeaux de la forte antiquité, cousus à ce frêle satin rose, n’eussent bientôt déchiré cette étoffe brillante ? De quel droit, à l’armure d’Achille, irez-vous attacher des faveurs et des dentelles ? Et enfin, ne serait-ce pas un beau spectacle, Marivaux armé et habillé comme un soldat de la phalange macédonienne, ou comme un centurion de Jules-César ? Non ! Ce charmant amuseur ne s’est pas donné tant de peine, il a obéi naturellement à l’instinct qui le poussait : il a renoncé très volontiers aux bénéfices de l’imitation, et il s’en est consolé en songeant qu’il en évitait tous les dangers. Bien plus, et que ceci ne soit pas dit à sa gloire, Marivaux, emporté par son amour pour le paradoxe, s’était mis un jour du côté de Fontenelle et de Lamothe contre Horace et Virgile ; et ce qu’il avait dit en riant, il voulut le soutenir par un gros livre. L’auteur de Marianne ne s’est pas contenté de mépriser les vieux dieux poétiques, il les a encore insultés autant qu’il était en lui, autant du moins que se peuvent insulter de pareils immortels. Mais ne parlons pas ici de l’Iliade travestie ; Lamothe et Fontenelle eux-mêmes, les ennemis personnels d’Homère, n’ont pas osé féliciter Marivaux de cette insulte dont il a été bien honteux toute sa vie. Marivaux, Fontenelle et Lamothe attelés à la statue d’Homère ! juste ciel ! Ne vous semble-t-il pas entendre d’ici le divin Homère s’écrier : Qu’y-a-t-il de commun entre vous et moi ? Étrange époque qui ne doutait de rien. On s’attaquait à l’Iliade en attendant que l’on pût s’attaquer à la royauté de France. On voulait briser les vieux autels comme un acheminement à briser tous les autres.