Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/138

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

De fort honnête, dit-il en répétant ce mot : prenez garde. Marianne ; ceci pourrait déjà bien venir d’un peu de prévention. Hélas ! que je vous plaindrais, dans la situation où vous êtes, si vous étiez tentée de prêter l’oreille à de pareilles cajoleries ! Ah ! mon Dieu, que ce serait dommage ! et que deviendriez-vous ? Mais, dites-moi, vous a-t-il demandé où vous demeuriez ?

Je crois que oui, monsieur, répondis-je en rougissant. Et vous, qui n’en saviez pas les conséquences, vous le lui avez sans doute appris ? ajouta-t-il. Je n’en ai point fait difficulté, repris-je ; aussi bien l’aurait-il su quand je serais montée dans le fiacre, puisque avant de partir il faut bien dire où l’on va.

Vous me faites trembler pour vous, s’écria-t-il d’un air sérieux et compatissant ; oui, trembler : voilà un événement bien fâcheux, et qui aura les plus malheureuses suites du monde, si vous ne les prévenez pas ; il vous perdra, ma fille : je n’exagère rien, et je ne saurais me lasser de le dire. Hélas ! quel dommage qu’avec les grâces et la beauté que vous avez, vous devinssiez la proie d’un jeune homme qui ne vous aimera point ; car ces jeunes fous-là savent-ils aimer ? ont-ils un cœur, ont-ils des sentiments, de l’honneur, un caractère ? Ils n’ont que des vices, surtout avec une fille de votre état, que mon neveu croira fort au-dessous de lui, qu’il regardera comme une jolie grisette, dont il va tâcher de faire une bonne fortune, et à qui il se promet bien de tourner la tête ; ne vous attendez pas à autre chose. De petites galanteries, de petits présents, qui vous amuseront ; les protestations les plus tendres, que vous croirez ; un étalage de sa fausse passion, qui vous séduira ; un éloge éternel de vos charmes ; enfin, de petits rendez-vous que vous refuserez d’abord, que vous accorderez après, et qui cesseront tout d’un coup par l’inconstance et par les dégoûts du jeune homme : voilà tout ce qui en arrivera. Voyez, cela vous convient-il ? je vous le demande, est-ce là ce qu’il vous faut ? Vous avez de l’esprit et de la raison, et il n’est pas possible que vous ne considériez quelquefois le