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d’étonnement que je fis, M. de Climal retourna la tête et le vit à son tour.

Jugez de ce qu’il devint à cette vision ; elle le pétrifia la bouche ouverte, elle le fixa dans son attitude : il était à genoux, il y resta ; plus d’action, plus de présence d’esprit, plus de parole ; jamais hypocrite confondu ne fit moins mystère de sa honte, ne la laissa contempler plus à l’aise, ne plia de meilleure grâce sous le poids de son iniquité, et n’avoua plus franchement qu’il était un misérable ; j’ai beau appuyer là-dessus, je ne peindrai pas ce qui en était.

Pour moi, qui n’avais rien à me reprocher, il me semble que je fus plus fâchée qu’interdite de cet événement ; et j’allais dire quelque chose, quand Valville, qui avait d’abord jeté un regard assez dédaigneux sur moi, et qui ensuite s’était mis froidement à contempler la confusion de son oncle, me dit d’un air tranquille et méprisant : Voilà qui est fort joli, mademoiselle ! Adieu, monsieur, je vous demande pardon de mon indiscrétion ; et là-dessus il partit en me lançant un regard aussi cavalier que le premier, et au moment que M. de Climal se relevait.

Que voulez-vous dire avec votre voilà qui est joli ? lui criai-je en me levant aussi avec précipitation : arrêtez, monsieur, arrêtez ; vous vous trompez, vous me faites tort, vous ne me rendez pas justice.

J’eus beau crier, il ne revint point. Courez donc après monsieur, dis-je alors à l’oncle, qui, tout palpitant encore, et d’une main tremblante, ramenait son manteau sur ses épaules, (car il en avait un) ; courez donc, monsieur ; voulez-vous que je sois la victime de ceci ? Que va-t-il penser de moi ? pour qui me prendra-t-il ? mon Dieu, que je suis malheureuse ! Ce que je disais la larme à l’œil, et si outrée, que j’allais moi-même rappeler le neveu qui était déjà dans la rue.

Mais l’oncle, m’empêchant de passer : Qu’allez-vous faire, me dit-il ; restez, mademoiselle ; ne vous inquiétez pas ; je sais la tournure qu’il faut donner à ce qui vient d’arriver.