Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/149

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lez-vous qu’il prenne cela pour de la piété, et qu’il ne s’imagine pas que vous êtes mon amant, et que je suis votre maîtresse, à moins que vous ne vous donniez la peine de le détromper ? Il faut donc absolument que vous lui parliez, quand ce ne serait qu’à cause de moi : vous y êtes obligé pour ma réputation, et même pour ôter le scandale : autrement ce serait offenser Dieu : et puis vous verrez que j’ai le meilleur cœur du monde, qu’il n’y aura personne qui vous chérira, qui vous respectera tant que moi, ni qui soit née si reconnaissante ; vous me ferez aussi tout le bien qu’il vous plaira. J’irai où vous voudrez, je vous obéirai en tout : je serai trop heureuse que vous preniez soin de moi, que vous ayez la charité de ne me point abandonner, pourvu qu’à présent vous ne fassiez plus mystère de cette charité à laquelle je me soumets, et que, sans tarder davantage, vous veniez dire à M. Valville : Mon neveu, vous ne devez point avoir mauvaise opinion de cette fille ; c’est une pauvre orpheline que j’ai la bonté de secourir en bon chrétien que je suis, et si tantôt j’ai fait semblant de ne pas la connaître chez vous, c’est que je ne voulais pas qu’on sût mon action pieuse. Voilà tout ce que je vous demande, monsieur, en vous priant de me pardonner les mots que j’ai dits sans attention, qui vous ont déplu, et que je réparerai par toute la soumission possible. Ainsi dès que madame Dutour sera rentrée, nous n’avons qu’à partir ; aussi bien quand vous n’iriez pas, je vous avertis que j’irai moi-même.

Allez, petite fille, allez, me répondit-il en homme sans pudeur, qui ne se souciait plus de mon estime, et qui voulait bien que je le méprisasse autant qu’il le méritait ; je ne vous crains point : vous n’êtes pas capable de me nuire, et vous qui me menacez, prenez garde à votre tour que je ne me fâche, entendez-vous ? Je ne vous en dis pas davantage ; mais on se repent quelquefois d’avoir trop parlé : adieu ; ne comptez plus sur moi ; je retire mes charités ; il y a d’autres gens dans la peine, qui ont le cœur meilleur que vous, et à qui il est juste de donner la préférence. Il vous restera encore de quoi vous ressouvenir de moi ;