Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/159

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dieu ! pourquoi m’avez-vous ôté mon père et ma mère ?

Peut-être n’était-ce pas là ce que je voulais dire, et ne parlais-je de mes parents que pour rendre le sujet de mon affliction plus honnête ; car quelquefois on est glorieux avec soi-même, on fait des lâchetés qu’on ne veut pas savoir, et qu’on se déguise sous d’autres noms ; ainsi peut-être ne pleurais-je qu’à cause de mes hardes. Quoi qu’il en soit, après ce court monologue qui, malgré que j’en eusse, aurait fini par me déshabiller, j’allai par hasard jeter les yeux sur ma cornette qui était à côté de moi.

Bon, dis-je alors, je croyais avoir tout mis dans le paquet, et la voilà encore ; je ne songe pas seulement à en tirer une de ma cassette pour me recoiffer, et je suis nu-tête : quelle peine que tout cela ! Et corr, passant insensiblement d’une idée à une autre, mon religieux me revint dans l’esprit. Hélas ! le pauvre homme, me dis-je, il sera bien étonné quand il saura tout ceci.

Et tout de suite je pensai que je devais l’aller voir ; qu’il n’y avait point de temps à perdre ; que c’était le plus pressé à cause de ma situation ; que je renverrais bien le paquet le lendemain. Pardi ! je suis bien sotte de m’inquiéter tant aujourd’hui de ces vilaines hardes (je disais vilaines pour me faire accroire que je ne les aimais pas) : il vaut encore mieux les envoyer demain matin ; Valvilie sera chez lui alors, il n’y a point d’apparence qu’il y soit à présent ; laissons là le paquet, je l’achèverai tantôt, quand je serai revenue de chez ce religieux : mon pied ne me fait presque plus mal ; j’irai bien tout doucement jusqu’à son couvent, que vous remarquerez qu’il m’avait enseigné la dernière fois qu’il était venu me voir.

Oui ; mais quelle cornette mettrai-je ? Quelle cornette ? eh ! celle que j’avais ôtée, et qui était à côté de moi. C’était bien la peine d’aller fouiller dans ma cassette pour en tirer une autre, puisque j’avais celle-ci toute prête.

Et d’ailleurs, comme elle valait beaucoup mieux que la mienne, il était même à propos que je m’en servisse, afin