Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/160

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de la montrer à ce religieux, qui jugerait, en la voyant, que celui qui me l’avait donnée y avait entendu finesse, et que ce ne pouvait pas être par charité qu’on en achetât de si belles : car j’avais dessein de conter mon aventure à ce bon moine, qui m’avait paru un vrai homme de bien : or, cette cornette serait une preuve sensible de ce que je lui dirais.

Et la robe que j’avais sur moi, eh vraiment ! il ne fallait pas l’ôter non plus : il est nécessaire qu’il la voie, elle sera une preuve encore plus forte.

Je la gardai donc et sans scrupule ; j’y étais autorisée par la raison même : l’art imperceptible de mes petits raisonnements m’avait conduite jusque-là, et je repris courage jusqu’à nouvel ordre.

Allons, recoiffons-nous : ce qui fut bientôt fait, et je descendis pour sortir.

Madame Dutour était en bas avec sa voisine. Où allez-vous, Marianne ? me dit-elle. À l’église, lui répondis-je, et je ne mentais presque pas : une église ou un couvent sont à peu près la même chose. Tant mieux, ma fille, reprit-elle, tant mieux, recommandez-vous à la sainte volonté de Dieu. Nous parlions de vous, ma voisine et moi ; je lui disais que je ferai dire demain une messe à votre intention.

Et, pendant qu’elle me tenait ce discours, cette voisine qui m’avait déjà vue deux ou trois fois, et qui jusque-là ne m’avait pas trop regardée, ouvrait alors les yeux sur moi, me considérait avec une curiosité populaire, dont de temps en temps le résultat était de lever les épaules, et de dire : La pauvre enfant ! cela fait compassion : à la voir, il n’y a personne qui ne croie que c’est une fille de famille. Façon de s’attendrir qui n’était ni de bon goût, ni intéressante : aussi ne l’en remerciai-je pas, et je quittai bien vite mes deux commères.

Depuis le départ de M. de Climal jusqu’à ce moment où je sortis, je n’avais, à vrai dire, pensé à rien de raisonnable. Je ne m’étais amusée qu’à mépriser Climal, qu’à me plaindre de Valville, qu’à l’aimer, qu’à méditer des projets