Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/167

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qu’incrédule : des cheveux qu’il touchait, qu’il louait ; M. de Climal, lui ! je n’y comprends rien ; à quoi rêvait-il donc ? Il est vrai qu’il aurait pu se passer de ces façons-là ; ce sont de ces distractions qui ne sont pas convenables, je l’avoue ; on ne touche point aux cheveux d’une fille : il ne savait pas ce qu’il faisait ; mais n’importe, c’est un geste qui ne vaut rien. Et ma main qu’il portait à sa bouche, répondis-je, mon père, est-ce encore une distraction ?

Oh ! votre main, reprit-il, votre main, je ne sais pas ce que c’est : il y a mille gens qui vous prennent par la main quand ils vous parlent, et c’est peut-être une habitude qu’il a aussi ; je suis sûr qu’à moi-même il m’est arrivé mille fois d’en faire autant.

À la bonne heure, mon père, repris-je ; mais quand vous prenez la main d’une fille, vous ne la baisez pas je ne sais combien de fois ; vous ne lui dites pas qu’elle l’a belle, vous ne vous mettez pas à genoux devant elle, en lui parlant d’amour.

Ah ! mon Dieu ! s’écria-t-il, ah ! mon Dieu ! petite langue de serpent que vous êtes, taisez-vous ; ce que vous dites est horrible ; c’est le démon qui vous inspire, oui, le démon ; retirez-vous, allez-vous-en, je ne vous écoute plus ; je ne crois plus rien, ni les cheveux, ni la main, ni les discours ; faussetés que tout cela ! laissez-moi. Ah ! la dangereuse petite créature ! elle me fait frayeur ; voyez ce que c’est dire que M. de Climal, qui mène une vie toute pénitente, qui est un homme tout en Dieu, s’est mis à genoux devant elle pour lui tenir des propos d’amour ! ah ! Seigneur, où en sommes-nous !

Ce qu’il disait, joignant les mains en homme épouvanté de mon discours, et qui éloignait tant qu’il pouvait une pareille idée, dans la crainte d’être tenté d’examiner la chose.

En vérité, mon père, lui répondis-je tout en larmes et excédée de sa prévention, vous me traitez bien mal, et il est bien affligeant pour moi de ne trouver que des injures où je venais chercher de la consolation et du secours. Vous