Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/17

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tranquille. Il avait vécu loin de ce bruit de révoltes et d’expériences de tous genres qui déjà commençait autour de son berceau pour ne plus s’arrêter. Son patrimoine suffisait d’ailleurs à ses besoins ; et si vous saviez comme il était heureux et fier de ne rien faire, comme il jouissait avec honneur de sa gaieté et de son esprit, comme il regardait de loin, en se félicitant d’être à l’abri de tant d’orages, les disputes et les batailles de tous ces brétailleurs de la plume qui se disputaient, avec tant de colère et d’injures, ce peu de bruit que l’on appelle la gloire ! Heureuse paresse, disait-il ; la paresse, mère de la liberté : à l’entendre, la paresse toute seule devait suffire à faire la fortune d’un homme. « Ah que ne suis-je resté toujours un paresseux, j’aurais conservé mon petit patrimoine. Mais non, des gens qu’on appelle sages m’ont prouvé que je pouvais le doubler, le tripler, le quadrupler, à cause de la commodité des temps ; et j’ai tout perdu pour être sorti de mon repos. Ah ! sainte paresse, salutaire indolence ! si vous étiez restées mes gouvernantes, je n’aurais pas écrit tant de néants plus ou moins spirituels, mais j’aurais eu plus de jours heureux que je n’ai eu d’instants supportables. Le repos ne vous rend pas plus riche que vous ne l’êtes, mais il ne vous rend pas plus pauvre ; avec lui vous conservez ce que vous n’augmentez pas, encore avez-vous cette chance que la fortune vienne s’asseoir à votre porte. »

Ainsi il pensait, ainsi il parlait. Cependant, comme il avait perdu la fortune paternelle pour l’avoir jouée dans la rue Quincampoix au temps du système, il se rappela qu’autrefois, au sortir du collège, trois jours lui suffisaient pour écrire une comédie. De toutes les façons qui se présentaient à lui pour ne pas être un garçon