Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/172

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par un sentiment de religion qui me vint en ce moment, moitié dans la pensée d’aller soupirer à mon aise et de cacher mes larmes qui fixaient sur moi l’attention des passants, j’entrai dans cette église, où il n’y avait personne, et où je me mis à genoux dans un confessionnal.

Là je m’abandonnai à mon affliction, et je ne gênai ni mes gémissements ni mes sanglots ; je dis mes gémissements, parce que je me plaignais, parce que je prononçais des mots, et que je disais : Pourquoi suis-je venue au monde, malheureuse que je suis ? Que fais-je sur la terre ? Mon Dieu, vous m’y avez mise, secourez-moi ; et autres choses semblables.

J’étais dans le plus fort de mes soupirs et de mes exclamations, du moins je le crois, quand une dame, que je ne vis point arriver, et que je n’aperçus que lorsqu’elle se retira, entra dans l’église.

Je sus après qu’elle arrivait de la campagne, qu’elle avait fait arrêter son carrosse à la porte du couvent où elle était fort connue, et où quelques personnes de ses amies l’avaient priée de rendre, en passant, une lettre à la prieure ; et que, pendant qu’on était allé avertir cette prieure de venir à son parloir, elle était entrée dans l’église, dont elle avait, comme moi, trouvé la porte ouverte.

À peine y fut-elle que mes tous gémissants la frappèrent, elle y entendit tout ce que je disais, et m’y vit dans la posture du monde la plus désolée.

J’étais alors assise, la tête penchée, laissant aller mes bras qui retombaient sur moi, et si absorbée dans mes pensées, que j’en oubliais en quel lieu je me trouvais.

Vous savez que j’étais bien mise ; et quoiqu’elle ne me vît pas au visage, il y a je ne sais quoi d’agile et de léger qui est répandu dans une jeune et jolie figure, et qui lui fit aisément deviner mon âge. Mon affliction, qui lui parut extrême, la toucha ; ma jeunesse, ma bonne façon, peut-être aussi ma parure l’attendrirent pour moi ; quand je parle de parure, c’est que cela n’y nuit pas.

Il est bon en pareille occasion de plaire un peu aux yeux,