Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/180

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paroisse ? Notre communauté ne peut vous aider que de ses prières, elle n’est pas en état de vous recevoir ; et tout ce que je puis faire, c’est de vous recommander à la charité de nos dames pensionnaires ; je quêterai pour vous, je vous remettrai demain ce que j’aurai amassé. (Quêter pour un ange, la belle chose à lui proposer !)

Non, ma mère, non, répondis-je d’un ton sec et ferme, je n’ai encore rien dépensé de la petite somme d’argent que m’a laissée mon amie, et je ne venais pas demander l’aumône. Je crois que, lorsqu’on a du cœur, il n’en faut venir à cela que pour s’empêcher de mourir, et j’attendrai jusqu’à cette extrémité ; je vous remercie.

Et moi, je ne souffrirai point qu’une fille aussi bien née y soit jamais réduite, dit en ce moment la dame qui avait gardé le silence. Reprenez courage, mademoiselle, vous pouvez encore prétendre à une amie dans le monde, je veux vous consoler de la perte de celle que vous regrettez, et il ne tiendra pas à moi que je ne vous sois aussi chère qu’elle vous l’a été. Ma mère, ajouta-t-elle en adressant la parole à la religieuse, je paierai la pension de mademoiselle ; vous pouvez la faire entrer chez vous. Cependant comme elle vous est absolument inconnue, et qu’il est juste que vous sachiez quelles sont les personnes que vous recevez, nous n’avons pour vous ôter tout scrupule là-dessus, et pour empêcher même qu’on ne trouve à redire à l’inclination que je me sens pour mademoiselle, nous n’avons, dis-je, qu’à envoyer tout à l’heure votre tourière chez cette dame Dutour, qui est ma marchande, et dont sans doute le bon témoignage justifiera ma conduite et la vôtre.

Je compris d’abord à ce discours qu’elle était bien aise elle-même de connaître un peu mieux son sujet, et de savoir à qui elle avait affaire : mais observez, je vous prie, le tour honnête qu’elle prenait pour cela, et avec quel ménagement pour moi, et avec quelle industrie elle me cachait l’incertitude qui pouvait lui rester sur ce que je disais, et qui était fort raisonnable.

On ne saurait payer ces traits de bonté-là. De toutes les