Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/179

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au sortir de chez lui, j’ai passé par ici, et je suis entrée dans votre église à cause que je pleurais le long du chemin, et qu’on me regardait ; et puis Dieu m’a inspiré la pensée de me jeter à vos pieds, ma mère, et d’implorer votre aide.

Là finit mon petit discours, ou ma petite harangue, dans laquelle je ne mis point d’autre art que ma douleur, et qui fit son effet sur la dame en question. Je la vis qui s’essuyait les yeux ; cependant elle ne dit mot alors, et laissa répondre la prieure, qui avait honoré mon récit de quelques gestes de main, de quelques mouvements de visage, qu’elle n’aurait pu me refuser avec décence ; mais il ne me parut pas que son cœur eût donné aucun signe de vie.

Certes, votre situation est fort triste, mademoiselle (car il n’y eut plus ni de belle enfant, ni de mon ange ; toutes ces douceurs furent supprimées) ; mais tout n’est pas désespéré ; il faut voir ce que ce religieux, que vous appelez le père Saint-Vincent, fera pour vous, reprit-elle d’un air de compassion posée. Ne dites-vous pas qu’il s’est chargé de vous trouver une place ? il lui est bien plus aisé de vous rendre service qu’à moi qui ne sors point, et qui ne saurais agir. Nous ne voyons, nous ne connaissons presque personne ; et à l’exception de madame, et de quelques autres dames qui ont la bonté de nous aimer un peu, nous sommes des semaines entières sans recevoir une visite ; d’ailleurs notre maison n’est pas riche ; nous ne subsistons que par nos pensionnaires, dont le nombre est fort diminué depuis quelque temps. Aussi sommes-nous endettées, et si mal à notre aise ! J’eus l’autre jour le chagrin de refuser une jeune fille, un fort bon sujet, qui se présentait pour être converse, parce que nous n’en recevons plus, quelque besoin que nous en ayons, et que, nous apportant peu, elles nous seraient à charge. Ainsi de tous côtés vous voyez notre impuissance, dont je suis vraiment mortifiée ; car vous m’affligez, ma pauvre enfant (ma pauvre quelle différence de style ! auparavant elle m’avait dit, ma belle), vous m’affligez : mais que ne vous êtes-vous adressée au curé de votre