Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/214

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Celui de n’être jamais qu’à vous, me répondit-il froidement, mais d’un ton ferme et déterminé, celui de m’unir à vous par tous les liens de l’honneur et de la religion : s’il y en avait de plus forts, je les prendrais, ils me feraient encore plus de plaisir ; et en vérité, ce n’était pas la peine de me demander mon dessein ; je ne pense pas qu’il puisse en venir d’autre dans l’esprit d’un homme qui vous aime, mademoiselle : mes intentions ne sauraient être douteuses ; il ne reste plus qu’à savoir si elles vous seront agréables, et si je pourrai obtenir de vous ce qui fera le bonheur de ma vie.

Quel discours, madame ! Je sentis que les larmes m’en venaient aux yeux ; je crois même que je soupirai, il n’y eut pas moyen de m’en empêcher ; mais je soupirai le plus bas qu’il me fut possible, et sans oser lever les yeux sur lui.

Monsieur, lui dis-je, ne vous ai-je pas dit les malheurs que j’ai essuyés dès mon enfance ? Je ne sais point de qui je suis née ; j’ai perdu mes parents sans les connaître ; je n’ai ni bien ni famille ; et nous ne sommes pas faits l’un pour l’autre : d’ailleurs, il y a encore des obstacles insurmontables.

Je vous entends, me dit-il de l’air d’un homme consterné ; c’est que votre cœur se refuse au mien.

Non, ce n’est pas cela, lui dis-je sans pouvoir poursuivre. Ce n’est point cela, mademoiselle, me répondit-il, et vous me parlez d’obstacle !

Nous en étions là de notre conversation, quand madame de Miran entra : jugez de la surprise de Valville.

Quoi ! s’écria-t-il en se levant : ah ! mademoiselle, tout est concerté. Oui, mon fils, lui dit-elle d’un ton plein de douceur et de tendresse, nous voulions vous le cacher ; mais, je vous l’avoue de bonne foi, je savais que vous deviez être ici, et nous étions convenues que je m’y rendrais. Ma chère fille, ajouta-t-elle en s’adressant à moi, Valville est-il au fait ? l’as-tu instruit ?

Non, ma mère, lui dis-je fortifiée par sa présence, et ranimée par la façon affectueuse dont elle me parlait devant