Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/218

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tion, il l’épousera à cause de lui-même qui le doit, à cause de vous qui lui avez procuré ce parti pour son bien, et à cause de moi qui l’en conjure comme de la seule marque qu’il peut me donner que je lui ai été véritablement chère : c’est une consolation qu’il ne refusera pas à une fille qui ne saurait être à lui, mais qui ne sera jamais à personne ; et qui de son côté ne refuse pas de lui dire que si elle avait été riche et son égale, elle avait si bonne opinion de lui qu’elle l’aurait préféré à tous les hommes du monde ; c’est une consolation que je veux bien lui donner à mon tour, et je n’y ai point de regret pourvu qu’il vous contente.

Je m’arrêtai alors, et me mis à essuyer les pleurs que je versais. Valville, toujours la tête baissée, et plongé dans une profonde rêverie, fut quelque temps sans répondre. Madame de Miran le regardait et attendait, la larme à l’œil, qu’il parlât ; enfin il rompit le silence, et s’adressant à ma bienfaitrice :

Ma mère, lui dit-il, vous voyez ce que c’est que Marianne ; mettez-vous à ma place, jugez de mon cœur par le vôtre. Ai-je eu tort de l’aimer ? me sera-t-il passible de ne l’aimer plus ? ce qu’elle vient de me dire est-il propre à me détacher d’elle ? Que de vertus, ma mère et il faut que je la quitte ! vous le voulez ; elle m’en prie ; et je la quitterai ; j’en épouserai une autre ; je serai malheureux, j’y consens, mais je ne le serai pas longtemps.

Ses pleurs coulèrent après ce peu de mots ; il ne les retint plus : ils attendrirent madame de Miran, qui pleura comme lui et qui ne sut que dire : nous nous taisions tous trois, on n’entendait que des soupirs.

Eh ! Seigneur, m’écriai-je avec amour, avec douleur, avec mille mouvements confus que je ne saurais expliquer, eh ! mon Dieu, madame, pourquoi m’avez-vous rencontrée ! je suis au désespoir d’être au monde, et je prie le Ciel de m’en retirer. Hélas ! me dit tristement Valville, de quoi vous plaignez-vous ? ne vous ai-je pas dit que je vous quitte ? Oui, vous me quittez, lui répondis-je ; mais, en me le disant, vous désolez ma mère, vous la faites mourir, vous la