Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/217

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pentir n’auriez-vous pas, quand vous ne m’aimeriez plus, et que vous vous trouveriez le mari d’une femme qui serait méprisée, que personne ne voudrait voir, et qui ne vous aurait apporté que du malheur et que de la honte ? Encore n’est-ce rien que tout ce que je dis là, ajoutai-je avec un attendrissement qui me faisait pleurer. À présent que je suis si obligée à madame de Miran, quelle méchante créature ne serais-je pas si je vous épousais ? Pourriez-vous sentir autre chose pour moi que de l’horreur, si j’en étais capable ? Y aurait-il rien de si abominable que moi sur la terre, surtout dans l’occurrence où je sais que vous êtes ? Car je suis informée de tout : ma mère me vint voir hier à son ordinaire ; elle était triste, je lui demandai ce qu’elle avait, elle me dit que son fils la chagrinait ; je l’écoutais sans m’attendre que je serais mêlée là-dedans : elle me dit aussi qu’elle avait toujours été fort contente de ce fils, mais qu’elle ne le reconnaissait plus depuis qu’il avait vu une certaine jeune fille : là-dessus elle me conta notre histoire, et cette jeune fille qui vous dérange, qui fait que vous manquez à votre parole, qui afflige aujourd’hui ma mère, qui lui a ôté le bon cœur et la tendresse de son fils, il se trouve que c’est moi, monsieur, que c’est cette pensionnaire qu’elle fait vivre et qu’elle accable de bienfaits. Après cela, monsieur, voyez avec l’honneur, avec la probité, avec le cœur estimable, tendre et généreux que vous avez coutume d’avoir, voyez si vous souhaitez encore que je vous aime, et si vous-même vous auriez le courage d’aimer un monstre comme j’en serais un, si j’écoutais votre amour. Non, monsieur, vous êtes touché de ce que je vous apprends, vous pleurez ; mais ce n’est plus que de tendresse pour ma mère, et que de pitié pour moi. Non, ma mère, vous ne serez plus ni triste ni inquiète ; M. de Valville ne voudra pas que je sois davantage le sujet de votre chagrin ; c’est une douleur qu’il ne me fera pas à moi-même. Je suis sûre qu’il ne troublera plus le plaisir que vous avez à me secourir ; il y sera sensible au contraire, il voudra y avoir part, il m’aimera encore, mais comme vous m’aimez ; il épousera la demoiselle en ques-