Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/220

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que viens-tu me dire ? Va, encore, une fois sois tranquille : je suis contente de toi. Mon fils, ajouta-t-elle d’un air de bonté qui me ravit encore, je ne te presse plus de terminer le mariage en question ; cela va me brouiller avec d’honnêtes gens, mais je t’aime encore mieux qu’eux.

Vous me rendez la vie, repartit Valville ; je suis le plus heureux de tous les fils : mais, ma mère, que ferez-vous de Marianne ? ne me permettrez-vous pas de la voir quelquefois ? Mon fils, lui répondit-elle, tu me demandes plus que je ne sais : laisse-moi y rêver, nous verrons. Consentez du moins que je l’aime, ajouta-t-il.

Eh ! juste ciel à quoi servirait-il que je te le défendisse ? Aime-la, mon enfant, aime-la ; il en arrivera ce qui pourra, reprit-elle.

J’avais pourtant dit que j’allais être religieuse, et je pensai le répéter par excès de zèle ; mais, comme madame de Miran l’oubliait, je m’avisai tout d’un coup de réfléchir que je ne devais pas l’en faire ressouvenir.

Je venais de m’épuiser en générosité, il n’y avait rien que je n’eusse dit pour détourner Valville de m’aimer, mais s’il plaisait à madame de Miran de vouloir qu’il m’aimât, si son propre cœur s’attendrissait jusque-là pour son fils ou pour moi, je n’avais qu’à me taire : ce n’était pas à moi à lui dire : Madame, prenez garde à ce que vous faites. Cet excès de désintéressement de ma part n’aurait été ni naturel ni raisonnable.

Ainsi je ne dis mot. Elle se leva : Quelle dangereuse petite fille tu es, Marianne ! me dit-elle en se levant : adieu : partons, mon fils ; et le fils ne cessait de lui baiser la main qu’il tenait, ce qui n’était pas si mal entendu.

Oui, oui, ajouta-t-elle, je comprends bien ce que cela veut dire : mais je ne déciderai rien ; je ne sais à quoi me résoudre ; quelle situation ! Adieu, il est tard ; va dîner, ma fille ; je te reverrai bientôt. Je la saluai alors sans rien répondre ; et comme je paraissais pleurer, et que je m’essuyais les yeux de mon mouchoir : Pourquoi pleures-tu ? me dit-elle : je n’ai rien à te reprocher ; je ne saurais te savoir