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mauvais gré d’être aimable ; va-t’en, tranquillise-toi : donne-moi la main, Valville.

Et sur-le champ elle descendit l’escalier, aidée de son fils, qui par discrétion ne me parla que des yeux, et ne prit congé de moi que par une révérence, que je lui rendis d’un air mal assuré, et comme une personne qui a peur de s’émanciper trop et d’abuser de l’indulgence de la mère en le saluant.

Me voilà seule, et bien plus agitée que je ne l’avais été la veille, lorsque madame de Miran me quitta.

Aussi y avait-il ici matière à bien d’autres mouvements. Aime-la, mon enfant : il en arrivera ce qui pourra, avait dit ma bienfaitrice à son fils, et puis nous verrons ; je ne sais que résoudre, avait-elle ajouté ; et dans le fond, c’était m’avoir dit à moi-même, espérez ; aussi espérais-je, mais en tremblant, mais en me traitant de folle d’oser espérer si mal à propos ; et en pareil cas on souffre beaucoup ; il vaudrait mieux ne voir aucune lueur de succès que d’en voir une si faible, qui ne vient flatter l’âme que pour la troubler.

Est-ce que j’épouserais Valville ? me disais-je ; je ne le croyais pas possible, et je sentais pourtant que ce serait un malheur pour moi si je ne l’épousais pas. C’est là tout ce que mon cœur avait gagné aux discours incertains de madame de Miran : n’était-ce pas le sujet d’un tourment de plus ?

Je n’en dormis point la nuit suivante ; j’en dormis mal deux ou trois nuits de suite : car je passai trois jours sans entendre parler de rien, et ce ne fut pas sans un peu de murmure contre ma bienfaitrice.

Que ne se détermine-t-elle donc ? disais-je quelquefois ; à quoi bon tant de longueurs ? Et là-dessus je crois que je boudais contre elle.

Enfin le quatrième jour arriva, et elle ne paraissait point ; mais, au lieu d’elle, Valville à trois heures après midi me demanda.

On vint me le dire, et c’était me donner la liberté d’aller