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Quoi ! M. de Climal ! dis-je en moi-même, avec un étonnement où peut-être entrait-il un peu d’émotion : ce qui est de certain, c’est que j’aurais mieux aimé qu’il n’eût point été là ; je ne savais s’il devait m’être indifférent qu’il y fût, ou si je devais en être fâchée : mais, à tout prendre, ce n’était pas une agréable apparition pour moi ; j’avais droit de le regarder comme un méchant homme, que ma seule présence déconcerterait.

Encore ne serait-ce rien pour lui que l’embarras de me voir, en comparaison des circonstances qui allaient s’y joindre, et des motifs d’inquiétude et de confusion qui allaient l’accabler. Je n’attendais que l’instant de faire ma révérence à madame de Miran, sa sœur ; et madame de Miran ne manquerait pas d’y répondre avec cet accueil aisé, tendre et familier, qui lui était ordinaire. Oh ! que penserait-il de cette familiarité ? quelles suites fâcheuses n’en pouvait-il pas prévoir ? Madame, concevez combien il me trouverait redoutable pour sa gloire, et combien un méchant qui vous craint est lui-même à craindre.

Et tout ce que je vous dis là m’agitait confusément.

Son neveu fut le premier qui m’aperçut, et qui me salua avec je ne sais quel air de gaîté de confiance qui était de bon augure pour nos affaires. M. de Climal, qui s’asseyait en ce moment, ne le vit point me saluer. Il parlait au cavalier qui était auprès de madame de Miran.

Cette dame les écoutait, et ne regardait point encore du côté des religieuses. Enfin elle jeta les yeux sur nous, et m’aperçut.

Ce furent aussitôt de profondes révérences de ma part, qui m’attirèrent de la sienne de ces démonstrations qui se font avec la main, et qui signifiaient : Ah ! bonjour, ma chère enfant ; te voilà ? Son frère, qui tirait alors de sa poche une espèce de bréviaire, remarqua ces démonstrations, les suivit de l’œil, et vit sa petite lingère, qui ne paraissait pas avoir beaucoup perdu en le congédiant, et dont les ajustements ne devaient pas lui faire regretter le paquet des hardes malhonnêtes qu’elle lui avait renvoyées.