Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/224

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Ce pauvre homme (car l’instant approche où il méritera que j’adoucisse mes expressions sur son chapitre), ce pauvre homme, pour qui, par une espèce de fatalité, je devais toujours être un sujet d’embarras et d’alarmes, perdit toute contenance en me voyant, et n’eut pas la force de me regarder en face.

Je rougis à mon tour, mais en ennemie hardie et indignée, qui sent l’avantage d’une bonne conscience, et qui a droit de confondre une âme coupable et au-dessous de la sienne.

Je m’aperçus que madame de Miran l’observait, et je suis persuadée qu’elle sentit bien le désordre où il se trouvait, tant à cause de moi qu’à cause de Valville, que par bonheur pour lui encore, il croyait seul au fait de son indignité. Le service commença ; il y eut un sermon qui fut fort beau ; je ne dis pas bon : ce fut avec la vanité de prêcher élégamment qu’on nous prêcha la vanité des choses du monde ; et c’est là le vice d’un grand nombre de prédicateurs : c’est bien moins pour notre instruction qu’en faveur de leur orgueil qu’ils prêchent ; de sorte que c’est presque toujours le péché qui prêche la vertu dans nos chaires.

La cérémonie finie, madame de Miran me demanda, et vint au parloir avant que de partir ; elle n’avait que son fils avec elle. M. de Climal s’était déjà retiré. Bonjour, Marianne, me dit-elle ; le reste de ma compagnie m’attend en bas, à l’exception de mon frère, qui est parti ; et je ne suis montée que pour te dire un mot. Voici Valville qui t’aime toujours, qui me persécute, qui est toujours à mes genoux pour obtenir que je consente à ses desseins ; il dit que je ferais son malheur si je m’y opposais, que c’est une inclination insurmontable ; que sa destinée est de t’aimer et d’être à toi. Je me rends, je ne saurais dans le fond condamner le choix de son cœur ; tu es estimable, et c’est assez pour un homme qui t’aime et qui est riche. Ainsi, mes enfants, aimez-vous, je vous le permets : toute autre mère que moi n’en agirait pas de même. Suivant les maximes du monde, mon fils fait une folie, et je ne suis pas sage de souffrir