Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/225

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qu’il la fasse ; mais il y va, dit-il, du repos de sa vie, et il me faudrait un autre cœur que le mien pour résister à cette raison-là. Je songe que Valville ne blesse point le véritable honneur, qu’il ne s’écarte que des usages établis, qu’il ne fait tort qu’à sa fortune, qu’il peut se passer d’augmenter. Il assure qu’il ne saurait vivre sans toi ; je conviens de tout le mérite qu’il te trouve : il n’y aura, dans cette occasion-ci, que les hommes et les coutumes de choqués ; Dieu ni la raison ne le seront pas. Qu’il poursuive donc. Ce sont tes affaires, mon fils ; tu es d’une famille considérable, on ne connaît point celle de Marianne ; l’orgueil et l’intérêt ne veulent point que tu l’épouses ; tu ne les écoutes pas, tu n’en crois que ton amour. Je ne suis à mon tour ni assez orgueilleuse ni assez intéressée pour être inexorable, et je n’en crois que ma bonté. Tu m’y forces, par la crainte de te rendre malheureux ; je serais réduite à être ton tyran, et je crois qu’il vaut mieux être ta mère. Je prie le Ciel de bénir les motifs qui font que je te cède ; mais, quoi qu’il arrive, j’aime mieux avoir à me reprocher mon indulgence qu’une inflexibilité dont tu ne profiterais pas, et dont les suites seraient peut-être encore plus tristes.

Valville, à ce discours, pleurant de joie et de reconnaissance, embrassa ses genoux. Pour moi, je fus si touchée, si pénétrée, si saisie, qu’il ne me fut pas possible d’articuler un mot ; j’avais les mains tremblantes, et je n’exprimai ce que je sentais que par de courts et fréquents soupirs.

Tu ne me dis rien, Marianne, me dit ma bienfaitrice ; mais j’entends ton silence, et je ne m’en défends point, je suis moi-même sensible à la joie que je vous donne à tous deux. Le Ciel pouvait me réserver une belle-fille qui fût plus au gré du monde, mais non pas qui fût plus au gré de mon cœur.

J’éclatai ici par un transport subit : Ah ! ma mère, m’écriai-je, je me meurs ; je ne me possède pas de tendresse et de reconnaissance.

Là je m’arrêtai, hors d’état d’en dire davantage à cause de