Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/227

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de vous marier secrètement. Tu es son héritier, mon fils ; c’est à quoi il faut prendre garde. Il est vrai qu’après son aventure avec Marianne, on pourrait espérer de le gagner, de lui faire entendre raison ; et nous consulterons sur le parti qu’il y aura à prendre ; il m’aime, il a quelque confiance en moi, je la mettrai à profit, et tout peut s’arranger. Adieu, ma fille ; et sur-le-champ elle se hâta de descendre, et me laissa plus charmée que je n’entreprendrais de le dire.

Je vous ai conté qu’il y avait trois ou quatre nuits que je n’avais presque pas dormi de pure inquiétude ; à présent, mettez-en pour le moins autant que je passai dans l’insomnie. Rien ne réveille tant qu’une extrême joie, ou que l’attente certaine d’un grand bonheur ; et sur ce pied-là, jugez si je devais avoir beaucoup de disposition à dormir.

Imaginez-vous ce que je deviens quand je pense que j’épouserai Valville, et combien de fois mon âme en tressaille ; et si, avec tant de tressaillements, j’avais le sang bien reposé.

Les deux premiers jours je fus simplement enchantée ; ensuite il s’y joignit de l’impatience. Oui, j’épouserai Valville, madame de Miran me l’a dit, me l’a promis ; mais cet événement, quand arrivera-t-il ? Je vais demeurer encore un mois ici ; on doit me mettre après dans un autre couvent, afin de prendre des mesures pour ce mariage ; mais ces mesures seront-elles bien longues à prendre ? ira-t-on vite ? On n’en sait rien ; on ne fixe aucun temps, on peut changer de sentiment ; et ces pensées altéraient extrêmement ma satisfaction ; j’en souffrais quelquefois presque autant que d’un vrai chagrin ; j’aurais voulu pouvoir sauter de l’instant où j’étais à l’instant de ce mariage.

Enfin ces agitations, tant agréables que pénibles, s’affaiblirent et se passèrent ; l’âme s’accoutume à tout, sa sensibilité s’use, et je me familiarisai avec mes espérances et avec mes inquiétudes.

Me voilà donc tranquille ; il y avait cinq ou six jours que je n’avais vu ni la mère ni le fils, quand un matin on m’ap-