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porta un billet de madame de Miran, où elle me mandait qu’elle me viendrait prendre à une heure après midi avec son fils pour me mener dîner chez madame Dorsin ; son billet finissait par ces mots :

« Et surtout rien de négligé dans ton ajustement, entends-tu ? je veux que tu te pares. »

Et vous serez obéie, dis-je en moi-même en lisant sa lettre ; aussi avais-je bien intention de me parer, même avant que d’avoir lu l’ordre : mais cet ordre mettait encore ma vanité bien plus à son aise ; j’allais avoir de la coquetterie par obéissance.

Quand je dis de la coquetterie, c’est qu’il y en a toujours à s’ajuster avec un peu de soin, c’est tout ce que je veux dire ; car jamais je ne me suis écartée de la décence la plus exacte dans ma parure ; j’y ai toujours cherché l’honnête, et par sagesse naturelle, et par amour-propre ; oui, par amour-propre.

Je soutiens qu’une femme qui choque la pudeur, perd tout le mérite des grâces qu’elle a : on ne les distingue plus à travers la grossièreté des moyens qu’elle emploie pour plaire, elle ne va plus au cœur, elle ne peut plus même se flatter de plaire ; elle débauche, elle n’attire plus comme aimable, mais seulement comme libertine, et par là se met à peu près au niveau de la plus laide qui ne se ménagerait pas. Il est vrai qu’avec un maintien sage et modeste, moins de gens viendront lui dire, je vous aime ; mais il y en aura peut-être encore plus qui le lui diraient s’ils osaient : ainsi ce ne sera pour elle que des déclarations de moins, et non pas des amants : de façon qu’elle y gagnera du respect, et n’y perdra rien du côté de l’amour.

Cette réflexion a coulé de ma plume sans que j’y prisse garde ; heureusement elle est courte, et j’espère qu’elle ne vous ennuiera pas : continuons.

Onze heures sont sonnées ; il est temps de m’habiller, et je vais me mettre du meilleur air qu’il me sera possible, puisqu’on le veut ; et c’est encore bon signe qu’on le veuille : c’est une marque que madame de Miran persiste à m’aban-