Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/230

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qui était en province, et qui en mourant t’a confiée à mes soins ; souviens-toi de cela : ce que je dirai est presque vrai ; j’aurais aimé ta mère si je l’avais connue ; je la regarde comme une amie que j’ai perdue ; ainsi je ne tromperai personne.

Hélas ! madame, répondis-je extrêmement attendrie, vos bontés pour moi vont toujours en augmentant depuis que j’ai le bonheur d’être à vous : toutes les paroles que vous m’avez dites sont autant d’obligations que je vous ai, autant de bienfaits de votre part.

Il est vrai, dit Valville, qu’il n’y a point de mère qui ressemble à la nôtre ; aussi ne saurait-on dire combien on l’aime. Oui, reprit-elle d’un air badin, je crois que tu m’aimes beaucoup, mais que tu me cajoles un peu.

Au reste, ma fille, je ne connais point de meilleure compagnie que celle où je te mène, ni de plus choisie ; ce sont tous gens extrêmement sensés et de beaucoup d’esprit que tu vas voir : je ne te prescris rien ; tu n’as nulle habitude du monde, mais cela ne te fera aucun tort auprès d’eux ; ils n’en jugeront pas moins sainement de ce que tu vaux, et je ne saurais te présenter nulle part où ton peu de connaissance à cet égard soit plus à l’abri de la critique : ce sont de ces personnes qui ne trouvent ridicule que ce qui l’est réellement ; ainsi ne crains rien ; tu ne leur déplairas pas, je l’espère.

Nous arrivâmes alors, et nous entrâmes chez madame Dorsin ; il y avait trois ou quatre personnes avec elle.

Ah ! la voilà donc enfin ; vous me l’amenez, dit-elle à madame de Miran en me voyant. Venez, mademoiselle, venez, que je vous embrasse, et allons nous mettre à table : on n’attendait que vous.

Nous dînâmes. Quelque novice et quelque ignorante que je fusse en cette occasion-ci, comme l’avait dit madame de Miran, j’étais née pour avoir du goût, et je sentis bien avec quelles gens je dînais.

Ce ne fut point à force de leur trouver de l’esprit que j’appris à les distinguer ; pourtant il est certain qu’ils e