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CINQUIÈME PARTIE


Voici, madame, la cinquième partie de ma vie. Il n’y a pas longtemps que vous avez reçu la quatrième ; et j’aurais, ce me semble, assez bonne grâce à me vanter que je suis diligente ; mais ce serait me donner des airs que je ne soutiendrais peut-être pas, et j’aime mieux tout d’un coup entrer modestement en matière. Vous croyez que je suis paresseuse, et vous avez raison ; c’est le plus sûr, et pour vous, et pour moi. De diligence, n’en attendez point ; j’en aurai peut-être quelquefois, mais ce sera par hasard et sans conséquence ; et vous m’en louerez si vous voulez, sans que vos éloges m’engagent à les mériter dans la suite.

Vous savez que nous dînions, madame de Miran, Valville, et moi, chez madame Dorsin, dont je vous faisais le portrait, que j’ai laissé à moitié fait, à cause que je m’endormais. Achevons-le.

Je vous ai dit combien elle avait d’esprit, nous en sommes maintenant aux qualités de son cœur. Celui de madame de Miran vous a paru extrêmement aimable ; je vous ai promis que celui de madame Dorsin le vaudrait bien. Je vous ai en même temps annoncé que vous verriez un caractère de bonté différent ; et, de peur que cette différence ne nuise à l’idée que je veux vous donner de cette dame, vous me permettrez de commencer par une petite réflexion.

Vous vous souvenez que dans madame de Miran je vous ai peint une femme d’un esprit ordinaire, de ces esprits qu’on ne loue ni qu’on ne méprise, et qui ont une raisonnable médiocrité de bon sens et de lumière ; au lieu que je vais parler d’une femme qui avait toute la finesse d’esprit possible. Ne perdez point cela de vue. Voici à présent ma réflexion.