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Je vous ai dit que je serais longue sur son compte, et, comme vous voyez, je vous tiens parole.

Encore un petit article, et je finis ; car je renonce à je ne sais combien de choses que je voudrais dire, et qui tiendraient trop de place.

On peut ébaucher un portrait en peu de mots ; mais le détailler exactement comme je vous ai promis de le faire, c’est un ouvrage sans fin. Venons à l’article qui sera le dernier.

Madame Dorsin, à cet excellent cœur que je lui ai donné, à cet esprit si distingué qu’elle avait, joignait une âme forte, courageuse et résolue ; de ces âmes supérieures à tout événement, dont la hauteur et la dignité ne plient sous aucun accident humain ; qui retrouvent toutes leurs ressources où les autres les perdent ; qui peuvent être affligées, jamais abattues ni troublées ; qu’on admire plus dans leurs afflictions qu’on ne songe à les plaindre ; qui ont une tristesse froide et muette dans les plus grands chagrins, une gaîté toujours décente dans les plus grands sujets de joie.

Je l’ai vue quelquefois dans l’un et dans l’autre de ces états, et je n’ai jamais remarqué qu’ils prissent rien sur sa présence d’esprit, sur son attention pour les moindres choses, sur la douceur de ses manières, et sur la tranquillité de sa conversation avec ses amis. Elle était toute à vous, quoiqu’elle eût lieu d’être toute à elle ; et j’en étais quelquefois si surprise, que, malgré moi et malgré ma tendresse pour elle, je m’occupais plus à la considérer qu’à partager ce qui la touchait en bien ou en mal.

Je l’ai vue dans une longue maladie, où elle périssait de langueur, où les remèdes ne la soulageaient point, où souvent elle souffrait beaucoup. Sans son visage abattu, vous auriez ignoré ses souffrances ; elle vous disait, je souffre, si vous lui demandiez comme elle était ; elle vous parlait de vous ou de vos affaires, ou suivait paisiblement la conversation, si vous ne le lui demandiez point.

Je suis sûre que toutes les femmes sentaient ce que valait madame Dorsin ; mais il n’y avait que les femmes du