Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/245

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus grand mérite qui, je pense, eussent la force de convenir de tout le sien, et pas une d’entre elles qui n’eût été glorieuse de son estime.

Elle était la meilleure de toutes les amies, elle aurait été la plus aimable de toutes les maîtresses.

N’eût-on vu madame Dorsin qu’une ou deux fois, elle ne pouvait être une simple connaissance pour personne ; et quiconque disait, je la connais, disait une chose qu’il était bien aise qu’on sût, et une chose qui était remarquée par les autres.

Enfin ses qualités et son caractère la rendaient si considérable et si importante, qu’il y avait de la distinction à être de ses amis, de la vanité à la connaître, et du bon air à parler d’elle équitablement ou non. C’était être d’un parti que de l’aimer et de lui rendre justice, et d’un autre parti que de la critiquer.

Ses domestiques l’adoraient ; ce qu’elle aurait perdu de son bien, ils auraient cru le perdre autant qu’elle ; et par la même méprise de leur attachement pour elle, ils s’imaginaient être riches de tout ce qui appartenait à leur maîtresse ; ils étaient fâchés de tout ce qui la fâchait, réjouis de tout ce qui la réjouissait. Avait-elle un procès, ils disaient, nous plaidons ; achetait-elle, nous achetons. Jugez de tout ce que cela supposait d’aimable dans cette maîtresse, ce qu’il fallait qu’elle fût pour enchanter, pour apprivoiser jusque-là, comment dirai-je ? pour jeter dans de pareilles illusions cette espèce de créatures dont les meilleures ont bien de la peine à nous pardonner leur servitude, nos aises et nos défauts ; qui, même en nous servant bien, ne nous aiment ni ne nous haïssent, et avec qui nous pouvons tout au plus nous réconcilier par nos bonnes façons. Madame Dorsin était extrêmement généreuse ; mais ses domestiques étaient fort économes, et malgré qu’elle en eût, l’un corrigeait l’autre.

Ses amis… oh ! ses amis me permettront de les laisser là ; je ne finis point : qu’est-ce que cela signifie ? allons, voilà qui est fait.