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Je vous ai promis celle d’une religieuse, mais ce n’est pas encore ici sa place, et ce que je vais raconter l’amènera. Cette religieuse, vous la devinez sans doute ; vous venez de la voir venger mon injure ; et, à la manière dont elle a parlé, vous avez dû sentir qu’elle n’avait point les petitesses des esprits ordinaires de couvent. Vous saurez bientôt qui elle était. Continuons.

Madame de Miran vint me revoir deux jours après notre dîner chez madame Dorsin ; et quelques jours ensuite je reçus d’elle, à neuf heures du matin, un second billet qui m’avertissait de me tenir prête à une heure après midi, pour aller avec elle chez madame Dorsin, avec un nouvel ordre de me parer, qui fut suivi d’une parfaite obéissance.

Elle arriva donc. Il y avait huit jours que je n’avais vu Valville, et je vous avoue que le temps m’avait duré. J’espérais le trouver à la porte du couvent comme la première fois ; je m’y attendais, je n’en doutais pas, et je pensais mal.

Madame de Miran avait prudemment jugé à propos de ne le pas amener avec elle, et je ne fus reçue que par un laquais, qui me conduisit à son carrosse. J’en fus interdite, ma gaîté me quitta tout d’un coup ; je pris pourtant sur moi, et je m’avançai avec un découragement intérieur que je voulais cacher à madame de Miran ; mais il aurait fallu n’avoir point de visage ; le mien me trahissait, on y lisait mon trouble ; et, malgré que j’en eusse, je m’approchai d’elle avec un air de tristesse et d’inquiétude, dont je la vis sourire dès qu’elle m’aperçut. Ce sourire me remit un peu le cœur, il me parut un bon signe. Montez, ma fille, me dit-elle. Je me plaçai, et puis nous partîmes.

Il manque quelqu’un ici, n’est-il pas vrai ? ajouta-t-elle toujours en souriant. Eh ! qui donc, ma mère ? repris-je comme si je n’avais pas été au fait. Eh ! qui, ma fille ? s’écria-t-elle ; tu le sais encore mieux que moi, qui suis sa mère. Ah ! c’est M. de Valville, répondis-je ; eh ! mais je m’imagine que nous le retrouverons chez madame Dorsin.