Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/263

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Il reprit haleine en cet endroit ; je rougis ; les mains me tremblèrent, et voici comment il continua.

C’est vous, mon père, qui me l’avez amenée, dit-il en parlant de moi ; elle était dans une situation qui l’exposait beaucoup ; vous vîntes lui chercher du secours chez moi ; vous me choisîtes pour lui en donner. Vous me croyiez un homme de bien ; vous vous trompiez, mon père, je n’étais pas digne de votre confiance.

Et comme alors le religieux parut vouloir l’arrêter par un geste qu’il fit : Ah ! mon père, lui dit-il, au nom de Dieu dont je tâche de fléchir la justice, ne vous opposez point à celle que je veux me rendre. Vous savez l’estime et peut-être la vénération dont vous m’avez honoré de si bonne foi ; vous savez la réputation où je suis dans le public ; on m’y respecte comme un homme plein de vertu et de piété ; j’y ai joui des récompenses de la vertu, et je ne les méritais pas ; c’est un vol que j’ai fait. Souffrez donc que je l’expie, s’il est possible, par l’aveu des fourberies qui vous ont jeté dans l’erreur, vous et tout le monde, et que je vous apprenne, au contraire, tout le mépris que je méritais, et toute l’horreur qu’on aurait eue pour moi, si on avait connu le fond de mon abominable conscience.

Ah ! mon Dieu, soyez béni, Sauveur de nos âmes, s’écria alors le père Saint-Vincent.

Oui, mon père, reprit M. de Climal, en nous regardant avec des yeux baignés de larmes, et d’un ton auquel on ne pouvait pas résister ; voilà quel était l’homme à qui vous êtes venu confier mademoiselle ; vous ne vous adressiez qu’à un misérable ; et toutes les bonnes actions que vous m’avez vu faire (je ne saurais trop le répéter) sont autant de crimes dont je suis coupable devant Dieu, autant d’impostures qui m’ont mis en état de faire le mal, et pour lesquelles je voudrais être exposé à tous les opprobres, à toutes les ignominies qu’un homme peut souffrir sur la terre ; encore n’égaleraient-elles pas les horreurs de ma vie.

Ah ! monsieur, en voilà assez, dit ici le père Saint-Vincent, en voilà assez. Allons, il n’y a plus qu’à louer Dieu des