Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/262

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À ce discours tout le corps me frémit ; j’approchai pourtant, les yeux baissés ; je n’osais les lever sur le mourant : je n’aurais su, ce me semble, comment m’y prendre pour le regarder, et je reculais d’en venir là.

Ah ! mademoiselle, c’est donc vous, me dit-il d’une voix faible et embarrassée ; je vous suis obligé d’être venue ; asseyez-vous, je vous prie. Je m’assis donc et me tus ; toujours les yeux baissés, je ne voyais encore que son lit : mais, un moment après, j’essayai de regarder plus haut, et de degré en degré je parvins enfin jusqu’à lui voir la moitié du visage, que je regardai vite tout entier ; mais ce ne fut qu’un instant ; j’avais peur que le malade ne me surprît en l’examinant, et n’en fût trop mortifié ; ce qu’il y a de sûr, c’est que je ne vis point de malice dans ce visage-là contre moi.

Où est mon neveu ? dit encore M. de Climal. Me voici, mon oncle, répondit Valville, qui se montra alors modestement. Reste ici, lui dit-il ; et vous, mon père, ajouta-t-il en s’adressant au religieux, ayez aussi la bonté de demeurer ; le tout sans parler de madame de Miran, qui remarqua cette exception qu’il faisait d’elle, et qui lui dit : Mon frère, je vais donner quelques ordres, et passer, pour un instant, dans une autre chambre.

Comme vous voudrez, ma sœur, répondit-il. Elle sortit donc ; et cette retraite, que M. de Climal me parut souhaiter lui-même, acheva de me prouver que je n’avais rien à craindre de fâcheux. S’il avait voulu me faire du mal, il aurait retenu ma bienfaitrice ; la scène n’aurait pu se passer sans elle ; aussi ne me resta-t-il plus qu’une extrême curiosité de savoir à quoi cette cérémonie aboutirait. Il se fit un moment de silence après que madame de Miran fut sortie ; nous entendîmes soupirer M. de Climal.

Je vous ai fait prier, dit-il en se retournant un peu de notre côté, de venir ici ce matin, mon père ; et je ne vous ai point encore instruit des raisons que j’ai pour vous y appeler ; j’ai voulu aussi que mon neveu fût présent ; il le fallait, à cause de mademoiselle que ceci regarde.