Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/267

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vous ; tout ce qui m’en afflige, c’est que vous ne la faites pas en pleine santé. Quant à moi, je ne regretterai que vous, et que la tendresse que vous me témoignez ; j’achèterais la durée de votre vie de tous les biens imaginables ; et, si Dieu m’exauce, je ne lui demande que la satisfaction de vous voir vivre aussi longtemps que je vivrai moi-même.

Et moi, monsieur, m’écriai-je à mon tour en sanglotant, je ne sais que vous répondre à force d’être sensible à tout ce que je viens d’entendre. J’ai beau être pauvre ; le présent que vous me faites, si vous mourez, ne me consolera pas de votre perte ; je vous assure que je la regarderai aujourd’hui comme un nouveau malheur. Je vois, monsieur, que vous seriez un véritable ami pour moi, et j’aimerais bien mieux cela, sans comparaison, que ce que vous me laissez si généreusement.

Mes pleurs ici me coupèrent la parole ; je m’aperçus que mon discours l’attendrissait lui-même. Ce que vous dites là répond à l’opinion que j’ai toujours eue de votre cœur, mademoiselle, reprit-il après quelques moments de silence, et il est vrai que je justifierais ce que vous pensez à présent de moi, si Dieu prolongeait mes jours. Je sens que je m’affaiblis, dit-il ensuite ; ce n’est point à moi à vous donner des leçons, elles ne partiraient pas d’une bouche assez pure. Mais, puisque vous croyez perdre un ami en moi, qu’il me soit permis de vous dire encore une chose : j’ai tenté votre vertu ; il n’a pas tenu à moi qu’elle ne succombât : voulez-vous m’aider à expier les efforts que j’ai faits contre elle ? aimez-la toujours, afin qu’elle sollicite la miséricorde de Dieu pour moi ; peut-être mon pardon dépendra-t-il de vos mœurs. Adieu, mademoiselle. Adieu, mon père, ajouta-t-il en parlant au père Saint-Vincent ; je vous la recommande. Pour vous, mon neveu, vous voyez pourquoi je vous ai retenu ; vous m’avez vu à genoux devant elle, vous avez pu la soupçonner d’y consentir ; elle était innocente, et j’ai cru être obligé de vous l’apprendre.

Il s’arrêta là, et nous allions nous retirer, quand il dit encore :