Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/268

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Mon neveu, allez de ma part prier ma sœur de rentrer. Mademoiselle, me dit-il après, madame de Miran m’a appris comment vous la connaissiez ; dans le récit que vous lui avez fait de votre situation, le détail de l’injure toute récente que vous veniez d’essuyer de moi a dû naturellement y entrer ; dites-moi franchement, l’en avez-vous instruite, et m’avez-vous nommé ?

Je vais, monsieur, vous dire la vérité, lui répondis-je, un peu embarrassée de la question. Au sortir de chez le père Saint-Vincent, j’entrai dans le parloir d’un couvent pour y demander du secours à l’abbesse ; j’y rencontrai madame de Miran ; j’étais comme au désespoir ; elle vit que je fondais en larmes ; cela la toucha. On me pressa de dire ce qui m’affligeait ; je ne songeais pas à vous nuire ; mais je n’avais point d’autre ressource que de faire compassion, et je contai tout, mes premiers malheurs et les derniers. Je ne vous nommai pourtant point alors, moins par discrétion qu’à cause que je crus cela inutile ; et elle n’en aurait jamais su davantage, si quelques jours après, en parlant de ces hardes que je renvoyai, je n’avais pas par hasard nommé M. de Valville, chez qui je les fis porter, comme au neveu de la personne qui me les avait données. Voilà malheureusement comment elle vous connut, monsieur ; et je suis bien mortifiée de mon imprudence ; car, pour de la malice, il n’y en a point eu ; je vous le dis en conscience ; je pourrais vous tromper, mais je suis trop pénétrée et trop reconnaissante pour vous en rien cacher.

Dieu soit loué, s’écria-t-il alors en adressant la parole au père Saint-Vincent : actuellement ma sœur sait donc à quoi s’en tenir sur mon compte. Je ne le croyais pas ; c’est une confusion que j’ai de plus avant que je meure ; je sens qu’elle est grande, mon père. Et je vous en remercie, mademoiselle ; ne vous reprochez rien, c’est un service que vous m’avez rendu ; ma sœur me connaît, et je vais rougir devant elle.

Je pensai faire des cris de douleur en l’entendant parler ainsi. Madame de Miran rentra avec Valville ; mes pleurs