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Je ne sais pas ce que vous entendez, lui répondis-je du même ton (et effectivement je n’en savais rien) ; mais, à tout hasard, je crois que vous pensez toujours juste ; voulez-vous bien à présent me dire votre pensée, mademoiselle ?

C’est, reprit-elle toujours tout bas, que madame votre mère est la meilleure amie de madame de Miran, et que vous pourriez bien épouser mon cousin ; dites-moi ce qui en est à votre tour.

Cela n’était pas aisé : la question m’embarrassa, m’alarma même ; j’en rougis, et puis j’eus peur qu’elle ne vît que je rougissais, et que cela ne trahît un secret qui me faisait trop d’honneur. Enfin j’ignore ce que j’aurais répondu, si sa mère ne m’avait pas tirée d’affaire. Heureusement, comme je vous l’ai dit, c’était de ces femmes qui voient tout, et qui veulent tout savoir.

Elle s’aperçut que nous nous parlions : Qu’est-ce que c’est, ma fille ? dit-elle ; de quoi est-il question ? Vous souriez, et mademoiselle rougit (rien ne lui était échappé) : peut-on savoir ce que vous vous disiez ?

Je n’en ferai pas mystère, repartit sa fille ; je serais charmée que mademoiselle demeurât à Paris, et je lui disais que je souhaitais qu’elle épousât M. de Valville.

Ah ! ah ! s’écria-t-elle ; mais, à propos, j’ai eu aussi la même idée ; et il me semble, sur tout ce que j’ai observé, qu’ils n’en seraient fâchés ni l’un ni l’autre. Eh ! que sait-on ? C’est peut-être le dessein qu’on a ; il y a toute apparence.

Eh ! pourquoi non ? dit madame de Miran, qui apparemment ne vit point de risque à prendre son parti dans ces circonstances, et qui, par une bonté de cœur dont le mien est encore transporté quand j’y songe, et que je ne me rappelle jamais sans pleurer de tendresse et de reconnaissance ; qui, dis-je, par une bonté de cœur admirable, et pour nous donner d’infaillibles gages de sa parole, voulut bien saisir cette occasion de préparer les esprits sur notre mariage.

Eh ! pourquoi non ? dit-elle donc à son tour : mon fils ne sera pas à plaindre, si cela arrive. Ah ! tout le monde sera