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Pour moi, je n’en ai point, dit la dame, et je suis d’avis de demeurer ; n’est-il pas vrai, madame ? Eh bien messieurs, continua-t-elle tout de suite, dites-nous donc, que pensez-vous de cette maladie ? J’ai dans l’esprit qu’il s’en tirera, moi ; n’est-ce pas ? Ne serait-ce point de la poitrine qu’il est attaqué ? Il y a six mois qu’il eut un rhume qui dura très longtemps ; je lui dis d’y prendre garde, il le négligeait un peu. La fièvre est-elle considérable ?

Ce n’est pas la fièvre que nous craignons le plus, madame, dit l’autre médecin, et on ne peut encore porter un jugement bien sûr de ce qui arrivera ; mais il y a toujours du danger.

Ils nous quittèrent après ce discours ; le magistrat les suivit, et nous restâmes, la mère, la fille, madame de Miran, Valville et moi, dans la salle.

Il était tard, un laquais vint nous dire qu’on allait servir. Madame de Miran passa un moment chez le malade ; on lui dit qu’il reposait : elle en ressortit avec l’ecclésiastique qui y était demeuré, qui nous dit qu’il reviendrait après dîner ; nous allâmes nous mettre à table, un peu moins alarmés que nous l’avions été dans le cours de la matinée.

Tous ces détails sont ennuyeux, mais on ne saurait s’en passer ; c’est par eux qu’on va aux faits principaux. À table on me mit à côté de mademoiselle de Fare. Je crus voir, à ses façons gracieuses, qu’elle était bien aise de cette occasion qui s’offrait de lier quelque connaissance ensemble. Nous nous prévenions de mille petites honnêtetés que l’inclination suggère à deux personnes qui ont du plaisir à se voir.

Nous nous regardions avec complaisance et comme l’amour a ses droits, quelquefois aussi je regardais Valville, qui, de son côté et à son ordinaire, avait presque toujours les yeux sur moi.

Je crois que mademoiselle de Fare remarqua nos regards. Mademoiselle, me dit-elle tout bas pendant que sa mère et madame de Miran se parlaient, je voudrais bien ne me pas tromper dans ce que je pense ; et, cela étant, vous ne quitteriez point Paris.