Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/278

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On se leva de table ; Valville me parut charmé qu’on eût lié cette petite partie ; je devinais ce qui lui en plaisait, c’est qu’elle nous convainquait encore de la sincérité des promesses de madame de Miran ; non seulement cette dame laissait croire que j’étais destinée à son fils, mais elle me laissait aller dans le monde sur ce pied-là ; y avait-il de procédé plus net, et n’était-ce pas s’engager à jamais ?

Sortons de chez M. de Climal. Madame de Fare ne put le voir, on dit qu’il reposait ; et dans l’instant que nous allions partir, Valville, par quelques discours qu’il tint adroitement, engagea cette dame à lui proposer de nous suivre, et de venir souper chez elle.

Il fait le plus beau temps du monde, lui dit-elle ; vous reviendrez ce soir ou demain matin, si vous l’aimez mieux. Me le permettez-vous aussi ? dit en riant Valville à madame de Miran, dont il était bien aise d’avoir l’approbation. Oui, mon fils, reprit-elle, vous pouvez y aller ; aussi bien ne me retirerai-je d’ici que fort tard. Et là-dessus nous prîmes congé d’elle, et nous partîmes.

Nous voici arrivés ; je vis une très belle maison ; nous nous y promenâmes beaucoup : tout m’y rendait l’âme satisfaite. J’y étais avec un homme que j’aimais, qui m’adorait, qui avait la liberté de me le dire, qui me le disait à chaque instant, et dont on trouvait bon que je reçusse les hommages, à qui même il m’était permis de marquer modestement du retour. Aussi n’y manquais-je pas ; il me parlait, et moi je le regardais, et ses discours n’étaient pas plus tendres que mes regards. Il le sentait bien ; ses expressions en devenaient plus passionnées, et le langage de mes yeux encore plus doux.

Quelle agréable situation ! D’un côté Valville qui m’idolâtrait ; de l’autre, mademoiselle de Fare qui ne savait quelles caresses me faire ; et de ma part un cœur plein de sensibilité pour tout cela. Nous nous promenions tous trois dans le bois de la maison ; nous avions laissé madame de Fare occupée à recevoir deux personnes qui venaient d’arriver pour souper chez elle ; et comme les tendresses de Valville