Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/28

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taient guère devant quel peintre ils devaient poser. Au reste cet homme excelle dans tous les portraits qu’il veut entreprendre ; il y a même, dans plus d’une page de notre auteur, des femmes qui n’ont pas de nom et que vous reconnaissez sans peine. Le portrait de madame de ***, dont la taille sans être grande est pourtant majestueuse ; on ne saurait s’empêcher de l’aimer, mais d’un amour timide et comme effrayé du respect qu’elle imprime. Le portrait de madame ***, vaine, curieuse et caustique ; « elle est sans quartier sur vos défauts, mais elle vous garde le secret sur vos bonnes qualités. Sans son esprit qui la rend méchante, elle aurait le meilleur cœur du monde. » Le portrait de M. *** : « Il dit ce qu’il pense de tout le monde, mais il n’en veut à personne ; son but n’est pas de persuader qu’il vaut mieux que les autres, mais qu’il ne ressemble qu’à lui-même. » En voici d’autres : car une fois dans cette piquante galerie, il n’est pas facile d’en sortir. Les portraits de femmes y abondent. Celle-ci, nouvellement mariée, avec un visage déjà antique, prend des airs enfantins dans la conversation ; elle baisse les yeux quand on la regarde. Mariée à trente ans, ses innocents appas sont encore tout confus de son aventure. Celle-là, qui étale glorieusement son embonpoint, et qui prend l’épaisseur de ses charmes pour de la beauté, est veuve et fort riche. Elle n’a guère moins de soixante ans. Elle s’est figuré que sa main était belle ; sa main en effet est assez blanche, mais large, mais charnue, mais boursouflée, mais courte, et elle tient au bras le mieux nourri qui se puisse voir.

Dans quel monde sommes-nous ? où donc Marivaux a-t-il rencontré tous ces originaux qu’il dépeint à mer-